Maintenant je n’écris pas de romans — j’en fais.
Enfin vous voyez que je me suis bien vengé des larmes que les coquetteries de m-lle S. m’ont fait verser il у а 5 ans; oh! mais c’est que nos comptes ne sont pas encore réglés: elle a fait souffrir le cœur d’un enfant, et moi je n’ai fait que torturer l’amour propre d’une vieille coquette, qui peut-être est encore plus… mais néanmoins, ce que je gagne c’est qu’elle m’a servi à quelque chose! — oh c’est que je suis bien changé; c’est que, je ne sais pas comment ça se fait, mais chaque jour donne une nouvelle teinte à mon caractère et à ma manière de voir! — ça devait arriver, je le savais toujours… mais je ne croyais pas que cela arrivât si vite. Oh, chère cousine, il faut vous l’avouer, la cause de ce que je ne vous écrivais plus, à vous et à M-lle Marie, c’est la crainte que vous ne remarquiez par mes lettres que je ne suis presque plus digne de votre amitié… car à vous deux je ne puis pas cacher la vérité, à vous qui avez été les confidentes de mes rêves de jeunesse, si beaux — surtout dans le souvenir.
Et pourtant à me voir maintenant on dirait que je suis rajeuni de 3 ans, tellement j’ai l’air heureux et insouciant, content de moi-même et de l’univers entier; ce contraste entre l’âme et l’extérieur ne vous paraît-il pas étrange? —
Je ne saurais vous dire combien le départ de grand’maman m’afflige, — la perspective de me voir tout-à-fait seul la première fois de ma vie m’éffraye; dans toute cette grande ville il ne restera pas un être qui s’interesse véritablement à moi…
Mais assez parler de ma triste personne — causons de vous et de Moscou. On m’a dit que vous avez beaucoup embelli, et c’est M-me Ouglitzki qui l’a dit; en ce cas seulement je suis sûr qu’elle n’a pas menti, car elle est trop femme pour cela: elle dit encore que la femme de son frère est charmante… en ceci je ne la crois pas tout-à-fait, car elle a intérêt de mentir… ce qui est drôle c’est qu’elle veut se faire malheureuse à tout prix, pour attirer les condoléances de tout le monde, — tandis que je suis sûr qu’il n’y a pas au monde une femme qui soit moins à plaindre… à 32 ans avoir ce caractère d’enfant, et s’imaginer encore faire des passions!.. — et après cela se plaindre? — Elle m’a annoncé encore que mademoiselle Barbe allait se marier avec M. Bachmétieff; je ne sais pas si je dois trop lui croire — mais en tout cas je souhaite à M-lle Barbe de vivre en paix conjugale jusqu’au célébrement de sa noce d’argent, — et même plus, si jusque-là elle n’en est pas encore dégoûtée!..
Maintenant voici mes nouvelles, Наталья Алексеевна с чады и домочадцы s’en va aux pays étrangers!!! pouah!.. elle va donner là bas une fameuse idée de nos dames russes!
Dites à Alexis que sa passion M-lle Ladigenski devient de jour en jour plus formidable!.. je lui conseille aussi d’engraisser encore pour que le contraste ne soit si frappant. Je ne sais pas si la manière de vous ennuyer est la meilleure pour obtenir ma grâce; ma huitième page va finir et je craindrais d’en commencer une dixième… ainsi donс, chère et cruelle cousine, adieu, et si vraiment vous m’avez remis dans votre faveur, faites le moi savoir, par une lettre de votre domestique, — car je n’ose pas compter sur un billet de votre main. |