C'est pour vous le premier que je romps le silence. — Merci pour votre plan de tragédie. Que pourrais-je vous en dire? Ce n'est pas les conceptions brillantes qui vous manquent; mais la patience [de] dans l'exécution. Il vous sera donc donné d'ouvrir encore la carrière d'un théâtre national. — Quant à la patience, j'aurais voulu vous voir consulter les sources où Karamsine a puisé, aulieu de vous en tenir à son seul récit. N'oubliez pas que Schiller fit un cours d'astrologie avant d'écrire son Wallenstein. Je vous avoue ne pas trop comprendre pourquoi vous voulez n'employer que les vers blancs dans votre tragédie. Moi, je [concevrais] croirais au contraire que ce serait bien le cas de faire usage de toutes les richesses de nos nombreux rhythmes. Bien entendu en ne cherchant pas à les combiner ensemble, comme le Prince Chakovskoï, mais en ne vous restrégnant pas à suivre pour chaque scène, le rhythme adopté dans la première. — Que votre tragédie soit bonne ou mauvaise j'y prévois d'avance [deux] d'importants résultats pour notre littérature; vous donnerez de la vie à notre héxamètre qui jusqu'à présent est si lourd, si inanimé; vous prêterez au dialogue un mouvement qui le fera ressembler à une conversation et non pas à des phrases de vocabulaire comme jusqu'à présent; vous achèverez de populariser chez nous, ce langage simple et naturel que notre public est encore a ne pas comprendre, malgré les beaux modèles des Цыганы et des Разбойники. Vous achèverez de faire descendre la poésie de ses échasses. —
Le Père et la Mère de votre Comtesse Natalie de Kagoul sont ici depuis une semaine. Je leur ai lu en séance publique votre Онегин, ils en sont enchanté. Mais moi j'en ai fait une critique que j'ai gardé pour moi. Chakovskoï ne pourra pas en faire une [gran[de]] Octologie. — Votre fragment des Цыганы qui a paru dans la Полярная Звезда avec une suite que je ne connaissais pas, est peut-être le tableau le plus animé, du coloris le plus brillant que j'aye jamais lu dans aucune langue. Bravo, Bravissimo! Votre Кавказской Пленник qui n'est point un bon ouvrage a ouvert une carrière qui sera l'écueil de la médiocrité. — Je ne suis point un partisan de [po[ëmes]] longs poëmes; mais ces espèces de fragments démandent toute la richesse de la poésie; la forte conception d'un caractère et d'une situation. Войнаровски est un ouvrage en mosaïque composé de fragments de Byron et de Пушкин, rapportés ensemble sans beaucoup de réflexion. Je lui sais grâce pour la couleur locale. C'est un garçon d'esprit mais ce n'est point un poëte. Il y a plus de mérite dans les fragments de Наливайко. Il y a de la véritable sensibilité, de l'observation (j'allais dire de la connaissance du coeur humain), une intention heureuse et bien éxécutée, enfin un style pur et de la véritable poésie dans le Чернец, tant que Козлов parle d'après lui même; mais pourquoi a-t-il pris pour cadre une parodie du Giaour et finit-il par une longue paraphrase d'un passage de Marmion. Il a imité, et parfois très heuresement, voire narré rapide et les tours de phrase de Жуковский. Il doit savoir l'Anglais et avoir étudié Colleridge. |